jeudi 20 avril 2017

Nesstalgie

Par Hong Kong Fou-Fou




Le 6 avril dernier, j'étais en famille à Inverness, la capitale des Highlands. Il faisait froid, il faisait gris. J'avais passé la journée autour du Loch Ness. J'en avais vu des monstres. En plastique. A paillettes. Qui faisaient "Pouet", qui faisaient "Grrr". A piles, à ressorts. A plumes, à poils. A voile et à vapeur. Empilés sur les rayonnages des boutiques de souvenirs. Le vrai, par contre, bernique. Il n'a pas daigné se montrer. On a encore essayé de me faire prendre Nessie pour des lanternes.
Mais ce n'est pas grave. Le soir-même, j'avais rendez-vous avec un autre monstre. Sacré. Lloyd Cole. Pas mal aussi, dans le genre boutique à souvenirs...
J'ai laissé ma femme et ma fille à l'hôtel. Elles ont eu de la chance, il y avait un mariage. Ecossais. Elles ont pu en admirer, des jambes musclées et dénudées. Je ne sais pas si là-bas c'est le mari qui fait la jarretière.
Mon fils et moi sommes partis vers l'Eden Court Theater où se déroulait le concert et où, donc, j'avais rendez-vous avec le post-adolescent que j'étais en 1985. Première mauvaise surprise : le lieu est un grand complexe où se concentrent cinémas, restaurants, salles de spectacle. Deuxième mauvaise surprise : des papys en chemise à pois et Chelsea boots, leurs maigres cheveux blancs coiffés en un backcomb approximatif, sont agglutinés devant l'entrée. Pas possible qu'ils soient là pour Lloyd Cole ? Non, en fait, ils viennent soigner leurs rhumatismes au son des "Cavern Beatles", un tribute band des... Beatles, bravo, quelle perspicacité ! Très rapidement, nous nous apercevons que, outre les gens venus voir Fast & Furious 8 (8 !!! Mon Dieu...), tout le monde est là pour les Cavern Beatles (Les Cavern Beatles !!! Mon Dieu...). D'où la troisième mauvaise surprise : à 10 mn du début du concert, il n'y a personne devant la salle réservée à Lloyd Cole, et dont la porte reste hermétiquement close.
Finalement, nous pouvons entrer, pour découvrir la quatrième (et dernière) mauvaise surprise : sur la scène, il y a juste un micro, un pupitre, quatre guitares (sèches), deux petites bouteilles d'eau (humides). On se dirige donc vers une prestation solitaire et acoustique. Les spectateurs étant assis, ce n'est pas catastrophique, on n'allait pas sauter partout, mais bon... Contrairement à ce que je craignais en découvrant la troisième mauvaise surprise, la (petite) salle sera pleine. Environ trois cents quinquagénaires se sont réunis pour en célébrer un trois cent unième... Seul mon fils de 13 ans a vainement tenté de faire baisser la moyenne d'âge. En regardant les visages bouffis de mes voisins, leurs poches sous les yeux, leur bedaine distendue par trop de bière, leurs rides et leur calvitie, j'essayais d'imaginer la même audience 30 ans plus tôt. La salle aurait été autrement plus colorée, il y aurait eu des mods, des néo-romantiques, des gothiques, des poppeux, que sais-je encore. Le temps a gommé toutes nos différences.
Lloyd Cole arrive bientôt. Lui aussi a vieilli. La vieillesse et le temps qui passe seront d'ailleurs fréquemment le thème des nombreuses petites phrases adressées au public. Mais sa voix, sa voix n'a pas changé. Son caractère non plus. Réservé, discret, presque timide. Il nous expliquera pendant le concert que dès ses débuts, il avait essayé de donner de lui une image neutre, lisse. Et de conclure : "J'ai échoué. On m'a cru arrogant et agressif". Il a parlé presque autant qu'il a chanté. Avec douceur, gentillesse. Et un humour subtil, souvent. Exemples : "Vous êtes dans la bonne salle. Merci de ne pas avoir choisi les Cavern Beatles." Ou, après avoir joué "Rattlesnakes" en deuxième morceau, à un couple qui arrivait en retard : "Bonsoir. J'ai déjà joué Rattlesnakes." Ou encore, chaussant ses lunettes pour régler ses pédales : "Vous n'êtes pas restés les mêmes, vous non plus". Et cette promesse : "La deuxième partie sera plus rythmée. Enfin, j'espère."
Il y a eu en effet deux sets de 45 mn, avec un entracte (nous sommes au théatre, ne l'oublions pas). Et uniquement des titres sortis entre 1983 et 1996. Je ne me rappelle pas la set-list, mais les chansons attendues étaient presque toutes là. Presque. Nous étions prévenus par l'artiste lui-même : "N'espérez pas entendre tous les titres que vous avez envie d'entendre. Je vais jouer deux heures. Divisez ce temps par le nombre de chansons, vous verrez que ce n'est pas possible". "Perfect skin". "Grace". "Charlotte Street". "Mainstream". "Jennifer she said". Et en rappel "Lost weekend" et "Forest fire".
Pour la seconde partie, il est rejoint par un jeune guitariste dont il dira : "J'ai eu un mal fou à trouver un jeune qui sait jouer de la guitare. Et qui a la même tête que moi à 24 ans". Et de révéler, trois chansons plus tard : "Voici William Cole". Voir Lloyd Cole, secondé par son fils, sur ses terres écossaises, moi-même accompagné par mon propre fils, j'avoue que ça a été une intense émotion.
Emotion, c'est d'ailleurs le terme qui décrirait le mieux cette soirée. Nostalgie, communion avec le public. C'est difficile à dépeindre sans tomber dans la mièvrerie. Contrairement aux vidéos de concerts récents que j'ai pu voir sur youtube, dans le public personne ne reprenait les refrains, le silence était total, quasi religieux. Quand les lumières se sont rallumées, les gens souriaient mais ne parlaient pas, chacun était dans sa bulle. La musique, c'était de la pop. Mais j'en suis ressorti avec du blues.

Et mon fils, vous vous demandez sûrement si ça lui a plus. Honnêtement, oui, même si sur la fin je l'ai vu une ou deux fois jeter un coup d'oeil à sa montre. Je vais le laisser conclure : "Papa, quand même, tu ne trouves pas qu'il ressemblait un peu à Han Solo dans le dernier "Star Wars" ?"


 PS : Avant le début du concert, un message enregistré nous a prié de ne pas faire de photos. Chose incroyable, tout le monde a respecté cette demande. Je ne voulais pas jouer les Franchouillards désobéissants, alors je me suis abstenu. Du coup, pour illustrer cet article, j'ai piqué une image au seul photographe présent, qui ne m'en voudra pas j'espère. Il y en a d'autres ici : http://invernessgigs.co.uk/2017/04/08/47195/