Je voudrais être écrivain*. J’ai
longtemps hésité entre être rien et rien, mais j’ai enfin trouvé :
écrivain. Pour écrire un livre, je crois qu’il n’y a pas mieux. Comme tout le
monde je sais écrire et je vais chez
le coiffeur et au bordel. J’ai tout
ce qu’il faut à dispo : un bon paquet de consonnes, plein de voyelles bien
dressées et une bonne tapée de syllabes prêtes à l’emploi. Plus qu’à en faire
des mots et des verbes et à les mettre, heu les intégrer pardon, dans des sujets
et des compléments directs ou indirects, on verra bien.
C’est bien pratique d’être
écrivain. Ça évite d’avoir à apprendre à jouer d’un instrument si l’envie m’en
prenait. De musique, bien entendu. Et puis le trac de la scène, c’est autre
chose que l’angoisse de la page blanche. Numérique soit-elle. J’aurais pu
essayer d’être peintre. Voilà une corporation où comme dirait Jean-Claude Dus,
on peut réussir sur un malentendu. Certes, faudrait que je réfléchisse un peu.
Trouver un concept. Avoir une longueur d’avance sur mes nouveaux collègues de
travail non-syndiqués. Comme Picasso. Oui, faudrait que je réfléchisse un peu…
Peut-être même un peu beaucoup. En tous cas, ça doit être plus pratique que
d’être sculpteur. S’escrimer sur grand bloc de marbre, très peu pour moi. En
plus, j’habite au troisième étage. N’allez pas croire que je veuille devenir un
artiste. L’artiste est celui qui invente. Non, juste un modeste artisan, comme
disait Pierre Larquey à Pierre Fresnay dans L’assassin
habite au 21. Oui, c’est ça, un artisan qui utiliserait sournoisement les
combines de ses prédécesseurs avant d’y ajouter une petite touche personnelle.
Comme ces cuistots qui rajoutent trois trucs dans des plats déjà préparés pour
les servir à leurs clients. Mais je ne veux pas être cuisinier, je n’y connais
rien et rien qu’à l’idée de me salir les mains et de devoir articuler un jour "que je me suis régalé en dégustant une succulente côte de bœuf",
je sais que je n’y arriverai pas. Non, ce que je veux c’est être écrivain. Dire
qu’on est écrivain, c’est comme répondre qu’on habite Paris dans un avion. Rien
à rajouter.
Oui, mais que dire ?
Qu’écrire en l’occurrence ? Raconter ma vie ? Banale, vous le savez.
Le mal que l’on m’a fait ? Banal vous ne le savez pas. Pourtant souffrir,
c’est bien. Mais juste ce qu’il faut. Pour pouvoir le raconter avec un second
degré. Moyen infaillible, s’il en est, d’arriver à ses fins. Il paraît qu’un
des participants du Marathon des sables, après s’être perdu en plein désert et
n’avoir survécu qu’en buvant du sang de chauve-souris pendant deux jours, a
décidé en désespoir de cause de s’ouvrir les veines. Petit problème, il était
tellement déshydraté que son sang coagulé a refusé de couler. Qui a envie de
lire une chose pareille ? Pas vous bien entendu. Comme ce rescapé
d’Hiroshima qui n’a rien trouvé de mieux pour se remettre de ses émotions que
d’aller chez sa sœur qui habitait à… Nagasaki. Pourtant raconter ce genre de
choses permet d’éviter de parler de soi. C’est pas que je ne veux pas, c’est
que je n’y arrive pas. Dire ce que l’on sent n’est pas facile, alors dire ce
que l’on ressent, je ne vous dis pas. Enfin si je vous le dis que je vous le
dis pas que je vous le dis. En plus, c’est bien connu, on n’a pas le souvenir
de la douleur. Physique. Essayez de vous rappeler le premier tacle non-glissé
(si vous êtes attaquant et garçon ou Laure Boulleau) que vous vous êtes
pris…. Impossible. Que me
reste-t-il ? Mettre des mots sur des émotions, comme un impressionniste
met de la couleur sur une impression ? Non, vraiment non. Mettre mes
tripes sur la table, suivant l’expression consacrée ? Et puis quoi
encore ? J’ai déjà aucune envie d’être surpris au rayon des boîtes de
conserves où il y en a dedans, heu, qui en contiennent, encore pardon, à
Intermarché, alors vous pensez bien… A moins que j’essaie de dire ce que je
pense, défendre une cause… Oui, ça c’est bien. Ça saoule tout le monde mais ça vous pose un
homme. Il doit bien y avoir un rebelle qui sommeille en moi. Comme le sergent
Schultz au Stalag 13. Sois rebelle et tais-toi, Moinet ! Dommage que je
sois un garçon, ça marche moins bien au masculin. Non, ce que je veux, c’est
écrire sans me prendre la tête. Surtout à deux mains, ce qui n’est pas très
pratique pour ce que je veux faire. Rock-critic ? En 2019 ? Une
espèce en voie de disparition et les rares places sont prises. Non, ce que je
veux… Oh puis non. Je ne sais même pas ce que je veux ! Et contrairement à
Johnny Rotten, je ne sais pas comment l’avoir. Quant à Jérome Rothen, ce qu’il
voulait c’était un beau débordement sur l’aile gauche, repiquer à l’intérieur
et centrer au deuxième poteau tous les samedi soirs au Parc. Chacun son truc…
Mais ? Bon sang de bonsoir ! Mais c’est bien sûr ! Suis-je
bête ! Je sais ce que je veux. Ce que je veux être : rédacteur à
Fury Magazine ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Parler de
l’époque épique ? Noir sur orange. Oui ! Celle qui commença à
Bruxelles le premier jour de l’Expo 58 et se
termina en 67 à San Francisco le dernier jour du Summer of love et qui inspire n’importe quel baby boomer en mal
d’Eldorado artificiel. Là où tout était amour et gloire et beauté et ambition
et modernité et optimisme, jusque dans n’importe quelle (mini) jupe, bagnole
(anglaise), sourire (en coin) et note de guitare (électrique)…
-
Monsieur Moinet ? Vous m’entendez ?
C’est l’infirmière. Vous avez de la visite. C’est Hong Kong Fi Fi.
-
Heu… Fou Fou, madame.
-
Qu’est-ce que vous dites ?
-
Fou Fou, pas Fi Fi.
-
Comme vous voulez… Surtout, ne lui causez pas
d’émotions… Tenez, écoutez… Il parle tout seul dans son sommeil. C’est
terrible, il répète toujours la même chose.
Chaland… Le prisonnier… Lotus super
seven…. Maître Capello… Lou Reed… Joseph
Durtol… I’m waiting for the man du Picardie… Raymond Poulidor encore premier… The
man with the Goldfinger…
-
Ah ahah ! Oui, c’est vrai ! C’est
rigolo ! Ahahaha.
-
Je crois qu’il délire…On comprend rien.
-
Comme d’habitude !! Ahaha.
-
Vous lui avez apporté des chocolats et une
tablette numérique ? Pour un nouvel article ? Vous savez, c’est pas
la peine et je crois qu’il ne saura pas s’en servir…. De toutes manières il ne
nous entend pas… Elève Moinet, vous m’entendez ? Il y a votre patron qui
est venu vous voir…
-
Je suis venu t’augmenter…
-
C’est vrai ? Vous allez l’augmenter ?
-
Non, je rigole ahahah !
-
Ah vous alors ! On doit pas s’ennuyer… Non,
vous voyez, pas la peine d’insister. On se croirait dans la fin de Brazil, juste avant le générique. On va
le laisser dormir. La sénilité, vous savez ce que c’est…
-
Heu, non, je ne sais pas.
-
Oui, c’est vrai ! Je n’avais pas
remarqué… Vous faites quoi ce soir ?
* Non, je ne veux pas être
écrivain. Mais je voudrais bien être Kurt Vile, juste un jour de ma vie. https://youtu.be/W7OmWKy6_8E Jouer de la guitare et aimer tout le monde.
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