Contribution de Hong Kong Fou-Fou
Nom : Rosa
Prénom : Giorgio
Année de naissance : 1925
Année de décès : 2017
Nationalité : Italienne
Qualité : Italien
Profession : Ingénieur
Surnom : Gigi l'Amoroso (Bon ça je ne sais pas si c'est vrai mais comme il semblerait qu'il ait réalisé le projet dont on va parler plus loin par amour pour une femme, il le mériterait. De toute façon, il est Italien, alors...)
M. Rosa - purée, ce nom me rappelle mes cours de latin au lycée, et l'angoisse inhérente d'être interrogé sur les déclinaisons -, M. Rosa, donc, est un ingénieur italien (ça, vous le savez déjà, c'est écrit au-dessus). Sa spécialité, c'est la mécanique. Mais s'il s'est mangé des tonnes d'équations différentielles et des valises d'intégrales triples durant ses longues années d'études, ce n'est pas pour faire fortune en inventant un moteur révolutionnaire pour Fiat ou en permettant à Ferrari de vaincre l'éternel rival Ford sur un circuit. Non, M. Rosa est un idéaliste. Un visionnaire. Un utopiste. Un rêveur. Un doux dingue (quand vous avez pigé, vous me dites, j'arrête ma litanie). Je vois ceux d'entre vous qui ont fait Sup de Co qui ricanent. Pas grave. Les moqueries lui glissent dessus, à Gigi. Il a une idée. Il se fait d'abord les dents en construisant de ses petites mains habiles divers trucs, notamment une voiture qui n'aurait pas détonné dans un épisode de la série U.F.O (deux "n" à "détonné" parce qu'avec un seul, elle aurait fait boum, ce qui somme toute aurait été une hypothèse plausible).
En 1967, le Géo Trouvetou transalpin se lance dans son grand projet : construire, en pleine mer, une île artificielle, en fait une plateforme mais qui servirait à autre chose qu'extraire du pétrole de la croûte terrestre. Après avoir inventé un procédé révolutionnaire de remplissage des tubes devant supporter la structure, il se met au boulot, avec quelques copains, un optimisme sans faille, une bonne humeur débordante et force bouteilles de chianti.
L'ouvrage est achevé en six mois. Le premier habitant de l'île en est Pietro Bernardini, qui fait naufrage sur l'île, et n'en repart pas. Le ton est donné. L'île, facilement accessible en bateau, devient un refuge pour une jeunesse estudiantine en manque de liberté. Premier mai 1968. En France, des gamins en col roulé cherchent la plage sous les pavés. En Italie, au large de Rimini, des gamins en short de bain rayé et bikini à pois dansent sur la mer, bronzent, picolent, jouent au poker. L'indépendance de l'île est déclarée. Elle devient un état, sous un nom qui pourrait sortir d'un album de Tintin : Esperantista Respubliko de la Insulo de la Rozoj. C'est de l'esperanto. Je peux même vous dire que "Vi havas belajn okulojn, vi scias", ça signifie "Tu as de beaux yeux, tu sais". Cet été, si vous draguez, ça sera peut-être sans espoir, mais pas sans esperanto.
Alors ceux d'entre vous qui n'ont pas encore abandonné la lecture de cet article sont en droit de se demander : pourquoi un Etat indépendant ? Parce que Giorgio Rosa, malin, a construit sa plateforme à 11,5 km des côtes, 500 m en dehors des eaux territoriales italiennes. Etat indépendant, certes, mais riquiqui : 400 m2, en gros un carré de 20 m de côté. Mais avec son gouvernement, sa constitution, sa monnaie, ses timbres. Pas d'équipe nationale de foot, par contre. Trop onéreux en ballons. Du water polo, éventuellement ?
L'histoire est belle mais, évidemment, elle se termine mal. Le gouvernement italien goûte moyennement la plaisanterie. Ce morceau de terre qui n'en est même pas un et qui échappe à son autorité, ce lieu de vices sur pilotis où l'on consomme des substances illicites et où l'on se livre à des jeux d'argent sans lui payer de taxes ne l'amuse pas du tout. Il semblerait que Washington ait aussi mis son grain de sel, encourageant les Italiens à réagir pour ne pas se retrouver avec un mini-Cuba au milieu de l'Adriatique. Toujours est-il que la Marine italienne envoie un navire de guerre et fait le blocus de l'île, qui est évacuée en juin 1968 et finalement détruite en 1969.
En décembre 2020, une autre plateforme, virtuelle celle-là puisqu'il s'agit de Netflix, a sorti un film inspiré de cette aventure, L'incredibile storia dell'Isola delle Rose. Dans le contexte actuel, où les restrictions nous oppressent et où on a une envie folle de courir tout nu au bord de la mer, sans masque (ni tuba), je ne peux que vous conseiller de regarder ce long métrage, qui constitue une grande bouffée d'air frais, une maxi dose de bonheur et de tendresse. Un vrai feel good movie ou plutôt, pour rester dans le ton, un tiramisu film.
Quelques petites choses pour conclure. D'abord, pourquoi le titre abscons de cet article ? Parce que la belle utopie de Giorgio, un citoyen lambda épris de liberté, n'aura duré que 55 jours...
Mais qui auront laissé leur empreinte : suite à cet "incident", l'O.N.U a décidé d'étendre les eaux territoriales de 6 milles marins à 11, pour décourager les récidives...
Autre anecdote : la "conquête" de l'île de la Rose aura été la seule guerre d'agression de la République italienne.
Enfin, je me dois d'être honnête : en cherchant des informations sur l'île de la Rose, j'ai trouvé un article italien, dans lequel Giorgio Rosa n'est pas présenté comme le personnage si sympathique que j'aimerais qu'il soit. Il semblerait en effet que la raison N°1 qui l'a poussé à créer sa petite nation rien qu'à lui, c'était de pouvoir disposer de son propre paradis fiscal... Mmmouais, il n'y a vraiment rien à tirer de l'être humain, je rends l'antenne et je retourne caresser mon labrador...